Toi le Passé, toi le Passé qui trotte dans l’esprit de tous, toi le Passé qui hante cet homme. Oui toi, je te parle, je te convoque maintenant pour te juger, pour te dire qu’après, tu n’auras plus le droit de revenir sans cesse dans l’inconscient de ce garçon devenu homme chaque fois qu’il ne se sent pas bien. Oui toi le Passé, viens maintenant relater ton histoire, raconter cet événement chez ce garçon de quatorze ans.
Ô oui le Passé, tu peux te laisser aller à narrer cette histoire et décrire le contexte du récit. En ces temps de confinement, ton histoire va ressembler à ce que certains vivent. Ô oui le Passé, tu déclares bien haut que son histoire, d’autres l’ont vécu sans qu’il n’y ait eu traces. Mais toi le Passé, comment peux-tu affirmer cela ? Que représente ton argument sans preuve ? Rien, il ne vaut rien. Une telle situation laisse des traces indélébiles, un tatouage dans la mémoire, une marque au fer rouge. Oui le Passé, tu ne comprends donc pas les conséquences.
Une famille a priori sans histoire et heureuse pour les voisins. Une famille vivant dans un petit appartement avec seulement deux chambres. Une famille composée des parents et de deux enfants, une fille et un garçon. Et pour vivre un minuscule appartement. Pourtant, vois-tu le Passé, l’argent n’est pas la cause. Dans un couple, les deux sont responsables vois-tu le Passé. Madame avait arrêté de travailler pour s’occuper des enfants me dis-tu le Passé. Je te l’accorde, elle aurait pu travailler. Elle faisait uniquement des remplacements. Madame voulait privilégier la vie de famille, traumatisme d’une mère partie trop tôt.
Quoi le Passé, et Monsieur me demandes-tu ? Il vivait comme un célibataire dans bien des domaines. Vois-tu, en plus de son emploi dans un bureau d’une usine, il faisait des vacations à coté. Vois-tu le Passé, ces vacations étaient souvent le samedi ou le dimanche. Vois-tu le passé, monsieur, quand il ne travaillait pas, allait à la chasse ou à la pêche. Quoi le Passé, tu veux savoir s’il s’agissait des seules activités de monsieur ? Bien sûr que non, il était aussi trésorier d’un club de sport, allait voir les rencontres, jouait à la pala. Oui le Passé, qu’y a-t-il ? Tu penses que c’est difficile maintenant pour lui d’en faire plus. Et bien non, détrompe toi le Passé. Ce n’était pas tout, malheureusement. L’argent que monsieur gagnait, il estimait que c’était le sien, qu’il était libre de s’en servir à sa guise. Oui le Passé, que veux-tu encore me dire pour me couper ? Tu estimes qu’il avait raison.
Mais voyons le Passé, réfléchis. Certes c’est lui qui a travaillé et gagné cet argent, mais s’il avait eu un amour différent pour sa famille, il ne l’aurait pas laissée dans ce taudis, entassée, sans intimité. S’il avait voulu que ses enfants grandissent bien et s’épanouissent, aient toutes leurs chances il leur aurait donné les moyens pour ça. Mais vois-tu le Passé, ces choses là, il est possible de vivre pour les gamins, ils s’adaptent.
Vois-tu le Passé, le problème n’est pas dans les moyens car il y a pire que les moyens. Si tu le permets cher Passé, reviens encore un peu plus au fond des choses. Ne te rappelles-tu donc point que monsieur courait à droite et à gauche tout en ayant une maîtresse ? Ne te rappelles-tu pas, cher Passé, que monsieur lui donnait une bonne partie de l’argent de ses vacations ? Ne te rappelles-tu pas cher Passé les tensions que cela amenait à la maison ? Ne te rappelles-tu pas cher Passé des crises, des colères, des moments hystériques que les enfants durent subir ? Ne penses-tu pas cher Passé que cette période a pu profondément marquer les enfants ? Oui cher Passé, les enfants ne ressortent pas indemnes. Oui cher Passé, madame aurait pu demander le divorce. Mais cher Passé, n’oublie pas ce que j’ai rappelé plus haut. Madame avait souffert de la perte de sa maman alors qu’elle était encore toute jeune. Vois-tu cher Passé, madame ne voulait pas que les enfants grandissent sans leurs deux parents à cause de ça. Vois-tu cher Passé, monsieur voulait divorcer, mais quand madame disait quelque chose, monsieur filait droit. Oui, cher Passé, tout ça devait être dur à supporter pour quelqu’un qui ne savait quoi choisir. Mais vois-tu cher Passé, cela n’excuse en rien le comportement de monsieur au regard de ses enfants et de leur cadre de vie. Cela ne l’excuse que devant le fait qu’il ne pouvait pas rester à la maison, qu’il préférait fuir. Te rappelles-tu cher Passé comment le divorce était mal vu à cette époque ? Et puis vois-tu cher Passé, qui dit divorce, dit saut dans l’inconnu, obligation de se reconstruire et d’assumer. Or, monsieur se sentait-il capable de ça, d’assumer son choix.
Je te convoque maintenant cher Passé pour te rappeler un moment qui aurait pu être dramatique. Oui un moment ou le jeune adolescent a voulu en finir. Vois-tu de quel moment je parle cher Passé ? Je suis sûr que oui. Ce moment ou ce jeune s’est mis à haïr son père au point de vouloir le marquer pour le reste de sa vie. Ce moment ou ce jeune en a eu marre de se faire rabaisser sans arrêt au niveau scolaire. Ce moment ou ce jeune a voulu quitter cette ambiance délétère, ou il ne voulait plus vivre. Tout cela te revient cher Passé ? Oui, je le sens, tu t’en souviens, tu t’en imprègnes maintenant. Te souviens-tu de la suite cher Passé ? Ce moment ou ce jeune pris le fusil de son père. Ce moment ou il le chargea. Ce moment ou il fit des calculs pour pouvoir enclencher les deux queues de détente à distance simultanément grâce à un système de corde une fois le fusil bloqué. Ce moment ou ce jeune s’est assis dans le fauteuil de son père, contemplant ce fusil qui le pointait. Ce moment ou il s’est relevé pour vérifier une dernière fois. Ce moment ou il se remit dans le fauteuil de son père et ou il prit la corde. Ce moment ou il était près. Ce moment ou sa sœur est rentrée et comprit aussitôt les intentions de son frère. Ce moment ou elle alla prendre le fusil, le cassa pour le décharger. Ce moment ou ce jeune plongea dans une tristesse intense de n’avoir pas pu quitter ce monde en se vengeant dans le même temps.
Dis cher Passé, tout cela t’est revenu en mémoire.
Alors oui cher Passé, tout cela vient hanter ce jeune aujourd’hui adulte, aujourd’hui homme vieux. Oui, cher Passé, les séquelles sont encore présentes et laissent des traces. Comment ça laissent-elles des traces ? Voyons cher Passé, là encore tu ne comprends pas. Cet homme a du mal parfois à se contrôler avec ces enfants les autres quand il a le sentiment d’un manque de respect. Vois-tu cher Passé, cet homme se fait peur par moment mais pourtant il essaie. Vois-tu cher passé, cet homme vit avec son fardeau de regrets car il sait qu’il ne pourra pas revenir en arrière. Vois-tu cher Passé, il devra vivre avec et cela le rend triste quand ses émotions reviennent à son esprit, quand celui-ci vagabonde sur les années passées. Mais vois-tu cher Passé, ce qui le désole également avec cette non-possibilité de se rattraper, c’est la non remise en question du monsieur. Oui je sais cher Passé, tout le monde n’est pas capable ou ne veut pas se juger. Pourtant, face à une souffrance, il suffit d’un mot, d’une phrase parfois pour pouvoir fermer le chapitre. Or là cher Passé, la seule réponse qu’a eu cet homme de la part du monsieur, quand il lui a fait part des reproches accumulés,fut : « et alors, je n’ai pas connu mon père moi ». Avec cette phrase tout est dit.